21 Février 2012
Reflet dans un œil d’or
par Julien Beauhaire
La Piscine de Roubaix accueille certaines des plus belles œuvres de Pablo Picasso et leur corollaire photographique de David Douglas Duncan à l’occasion d’une exposition exceptionnelle « Picasso à l'œuvre. Dans l'objectif de David Douglas Duncan ».

Le regard de Picasso. Été 1957, Villa La Californie, Cannes / Épreuve gélatino-argentique, 23,1 x 34,3 cm / Coll. Particulière © David Douglas Duncan, 2012
« Donnez-moi un musée et je le remplirai », avait promis Picasso. L’une des plus belles expositions de l’année n’est ni rive gauche ni rive droite à Paris. Mais à Roubaix, dans le Nord-Pas-de-Calais, et plus précisément à La Piscine, chef-d’œuvre d’architecture Art déco.
Dialogue
Jusqu’au 20 mai 2012, La Piscine, le musée d'art et d'industrie de Roubaix, rend hommage à deux artistes du XXe siècle : le célébrissime Pablo Picasso et le photographe américain David Douglas Duncan. Après les expositions de Malaga et Münster, les commissaires de l’exposition, Stéphanie Ansari et Tatyana Franck, ont réussi l’exploit de réunir et confronter plus de 150 clichés de « DDD » et certaines des œuvres les plus marquantes de l’artiste espagnol, comme Les Baigneurs à la Garoupe (1957), Jacqueline aux fleurs (1954), Tête de taureau (1942) ou La guenon et son petit (1951), reproduisant ainsi ce que Malraux avait entamé dans son Musée imaginaire (1947) : un dialogue à la fois ultime et immortel.
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Madame Z (Jacqueline aux fleurs), 2 juin 1954, huile sur toile, 100 x 81 cm / Coll. particulière © Succession Picasso, 2012 / Photo : ImageArt Antibes
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Picasso avec le portrait de Jacqueline aux fleurs. 1957, Villa La Californie, Cannes / Épreuve gélatino-argentique, 38,2 x 25,3 cm / Coll. Particulière © David Douglas Duncan, 2012
Humilité et courage
Le 8 février 1956, sur les recommandations du photoreporter « Bob » Capa, David Douglas Duncan rencontre « le Maestro » pour la première fois. Les présentations ont lieu dans la baignoire du peintre, c’est dire le degré d’intimité que l’Espagnol souhaite conférer au dialogue naissant entre le photoreporter meurtri par les conflits dans le Pacifique sud, en Corée ou en Turquie, et le plus grand artiste vivant de l’époque. Jusqu’à la mort de Picasso en 1973, Duncan est autorisé à le suivre dans ses ateliers ou dans son intimité familiale. On y voit un Picasso guilleret, folâtrant avec ses proches et gourmand de vie. Pourquoi Duncan et pas un autre ? Sans doute parce que le « Yankee Nomad » fait preuve d’humilité, n’est pas issu du sérail des critiques d’art et a démontré son courage au front des combats. « Picasso n’était à l’époque pas ma priorité. Cela a été un accident, comme souvent dans ma vie. Je suis l’homme le plus heureux du monde », explique-t-il aujourd’hui, l’œil brillant. Les deux hommes se refusent d’ailleurs à intervenir dans la production artistique de l’autre, laissant ainsi toute liberté à leur création. « Fais ce que tu veux avec tes tirages. Est-ce qu'on demande à un peintre comment peindre ? », lui avait dit Picasso.
Limpide
À la Villa La Californie à Cannes, au château de Vauvenargues ou à Notre-Dame-de-Vie à Mougins, Duncan photographie Picasso à l’œuvre. « Ce sont juste des photographies prises entre amis », justifie aujourd’hui le vieil homme de 96 ans à la mémoire vive. Par-delà la relation amicale entre l’artiste et le photographe, déjà entraperçue entre Herbert Matter ou Henri Cartier-Bresson et Alberto Giacometti, l’accrochage limpide pariant sur les clichés noir et blanc du photographe et sur les œuvres du peintre, forme un testament unique dans l’histoire de l’art : celui de la naissance d’une œuvre bien sûr (Les baigneurs à la Garoupe présents ou Le Mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot en 1955), mais également celui du rapport de l’artiste à l’objet, à son œuvre et à sa représentation.
S’excusant presque de son talent, celui que Picasso nommait « Ismaël » – « Dieu m'a entendu » – admet : « Vous n’êtes pas là pour moi, mais pour Picasso. » Pas sûr.

Pablo Picasso dansant devant les Baigneurs sur la plage de la Garoupe. Juillet 1957, Villa La Californie, Cannes / Épreuve gélatino-argentique, 35,5 x 28 cm / Coll. Particulière © David Douglas Duncan, 2012
Picasso à l'œuvre. Dans l'objectif de David Douglas Duncan, jusqu'au 20 mai, à La Piscine, Musée d'art et d'industrie, 23, rue de l'Espérance à Roubaix.
Et à Paris ne manquez pas, Picasso "Etats d'Ame" David Douglas Duncan, à la galerie Basia Embiricos : jusqu’au 23 avril 2012, 14 rue des Jardins Saint Paul (www.galeriebasiaembiricos.com).

Catalogue complet et superbement commenté et illustré : Picasso à l'oeuvre : Dans l'objectif de David Douglas Duncan de Stéphanie Ansari, Tatyana Franck, préface de Frédéric Mitterrand (Gallimard, 263 pages, 39 €.)
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